Rien de plus loin de nous que les haïkus, ces brefs poèmes sans sillage, dont la perfection est toujours effacement : poèmes du moins-dire, qui occupent peu de place, et qui occupent légèrement leur place. Inutile de leur chercher un sens, leur déroutante insignifiance s'ouvre naturellement à tous les sens. Inutile surtout de les lester de nos certitudes : leur poésie baladeuse, sans bagage, est née sur le chemin et entend y rester. Ils fleurissent sur les lèvres du flâneur qui n'attend rien, ne cherche rien, se contente d'aller, prêt à toutes les rencontres, à tous les émerveillements. Ils ne se haussent pas du col, préfèrent l'aise, le débraillé même, et trottent vers l'ineffable par les raccourcis de l'humour. Se laisser aller avec eux...
Les haïkistes nippons notaient volontiers leurs petits poèmes en marge du récit de leurs randonnées, comme autant de pauses, de points de suspension. Maurice Coyaud procède comme eux. Son anthologie n'en est pas vraiment une et c'est tant mieux ; elle prend forme de promenade, de libre divagation. Emboîtant le pas aux haïkistes eux-mêmes, c'est à un voyage à travers le Japon éternel qu'il nous convie, au long d'une vingtaine de chapitres élus par son humeur (saisons, lumière, musique, bestiole, humour...), le tout entrecoupé de contes populaires d'une revigorante crudité - celle même où sait se complaire aussi le haïku. Écoutons ces voix qui nous disent que la poésie, même si elle n'est jamais que l'autre nom de l'indicible, ne loge pas au temple que l'on croit : elle suit les chemins vicinaux, dort dans les fossés et chausse les savates de tout le monde. Elle ne cherche rien (puisque chercher est l'un des meilleurs moyens de ne rien trouver), donnant secrètement raison au sage qui nous prévient narquoisement : « Quand vous regardez, contentez-vous de regarder. Si vous réfléchissez, vous mettez déjà hors de la cible. » Publié pour la première fois en 1978, constamment réédité depuis, Fourmis sans ombre fait mentir ceux qui clament que la poésie n'intéresse plus personne. Son constant succès, il n'est pas trop tôt pour le dire, est celui d'un futur classique. Passage en collection « Libretto » d'un livre de poésie qui n'a jamais cessé d'être un succès en librairie... et que Roland Barthes considérait comme le meilleur guide possible du Japon éternel. |