Rien de plus loin de nous que ces brefs poèmes sans sillage, dont la perfection est toujours effacement : poèmes du moins-dire, qui occupent peu de place - et qui occupent légèrement leur place. Ce qui explique que les traducteurs occidentaux se soient constamment ingéniés à faire dire à ces textes autre chose que ce que simplement ils disent, trop soucieux de les enjoliver, de les orienter dans tel ou tel sens - alors que leur déroutante insignifiance s'ouvre naturellement à tous les sens. C'est cette subtile "neutralité" que Maurice COYAUD a tenu par-dessus tout à préserver ici. Fidèle à l'idéal japonais du yûgen (mystère ineffable), il n'hésite pas à laisser à ces humbles tercets leur saveur de terroir, leur malicieuse trivialité, voire une certaine rudesse, estimant qu'en tout état de cause, la meilleure façon de traduire le haïku est encore de s'en tenir à une sorte de "dire minimal", qui rende compte aussi fidèlement que possible de la spontanéité, de l'instantanéité du geste créateur. L'organisation même de la présente anthologie obéit à ce type d'approche : elle n'a pas été conçue selon les exigences de la raison, mais bien plutôt comme une promenade, une divagation dont le seul fil d'Ariane est cette "fantaisie du voyageur" qui guide ordinairement les âmes vagabondes. Emboîtant le pas aux haïkistes eux-mêmes, c'est à un voyage à travers le Japon éternel que l'auteur nous convie, au long d'une vingtaine de chapitres (saisons, lumière, musique, bestioles, humour...) où il se complaît à mêler réflexions "humoresques", poèmes, et contes populaires d'une revigorante crudité (n'oublions pas que le haïku fait fréquemment référence à l'univers familier du conte). Ecoutons ces voix qui nous disent que la poésie, même si elle n'est jamais que l'autre nom de l'indicible, ne loge pas au temple que l'on croit : elle suit les chemins vicinaux, dort dans les fossés et chausse les savates de tout le monde. Elle ne cherche rien (puisque chercher est l'un des meilleurs moyens de ne rien trouver), donnant secrètement raison au sage qui nous prévient narquoisement : "Quand vous regardez, contentez-vous de regarder. Si vous réfléchissez, vous mettez déjà hors de la cible." |